Les Alsaciens à Saint-Aulaye il y a 80 ans.
J’aimerais vous parler aujourd’hui d’un autre épisode de l’histoire de Saint-Aulaye : l’évacuation des Alsaciens en 1939
Le 1er septembre 1939, l’ Allemagne d’Adolf Hitler envahit la Pologne et bombarde Varsovie.
La France était l’alliée de la Pologne et s’était engagée à intervenir en cas d’agression.
Après avoir accepté le réarmement de la Rhénanie en 1936
L’Annexion de l’Autriche (Anschluss en 1938)
Le démembrement de la Tchécoslovaquie en 1939
La France se décide à assumer son engagement envers la Pologne et donne l’ordre de Mobilisation Générale des armées de terre de mer et de l’air sur tout le territoire y compris dans nos Colonies d’alors. Le jour même, 5 millions d’hommes sont mobilisés. C’était un devoir auquel on ne pouvait pas se soustraire.
Des plans d’évacuation des civils avaient été prévus depuis plusieurs années en cas de défaite.
Le gouvernement conseille aux Parisiens de rejoindre la province. Cent trains par jour quittent la Capitale pendant une semaine pour évacuer 500 000 Parisiens.
En Alsace en Moselle, en Lorraine, pour éviter le massacre des populations coincées entre les fortifications françaises de la Ligne Maginot et celles de la Ligne Siegfried allemande ainsi que dans les zones potentielles de combats, l’évacuation a été rigoureusement planifiée et appliquée, en particulier par le maire de Strasbourg Charles Frey.
Le 2 septembre 1939, 550 communes et 600 000 personnes sont évacuées de l’est de la France.
Les familles quittent immédiatement leur domicile avec les 30 kg de bagages autorisés et des vivres pour trois jours et rejoignent comme il peuvent les points de rassemblement prévus dans les Vosges, d’ou ils seront acheminés en train vers ce qui est pour eux, l’inconnu total.
Ils laissent tout derrière eux, y compris le bétail et les animaux. Ils emmènent ce qu’ils ont de plus précieux (ce sera parfois la coiffe alsacienne) et le strict nécessaire avec enfants, vieillards, femmes enceintes etc. Mettez-vous un instant à la place de ces gens, pensez à ce que vous feriez si dans l’instant, Mr le Maire vous annonçait que vous avez 24 h pour partir…
C’est ce qu’ils ont fait, en bon ordre malgré les larmes.
Au total 159 trains civils dont 83 au départ de Strasbourg vont, rarement directement, rejoindre leur destination. Dans chaque convoi, un seul wagon avec des places assises, pour les malades et les personnes âgées, pour les autres, la paille des wagons de marchandises. Ils mettront plusieurs jours parfois jusqu’à trois semaines pour arriver. Certains sont morts en route…
Beaucoup d’administrations, de banques, d’industries, de journaux, de clubs sportifs se réimplantent dans les villes du SO comme à Périgueux. Des quartiers entiers de Strasbourg sont dirigés vers la campagne environnante.
544 habitants de l’ouest de Strasbourg comme Cronenbourg, La Montagne Verte, le Neuhof, arrivent à Saint-Aulaye vers la mi-septembre 1939 soit 125 hommes, 270 femmes, 117 enfants de moins de 13 ans.
Comment la Municipalité d’alors accueille-t-elle l’équivalent de la moitié de la population (1211h en 1936) de la commune ? Je ne le sais pas, les documents ont paraît-il brûlé. Ce que je sais, c’est qu’ils ont été répartis dans toutes les maisons qui possédaient au moins une pièce inoccupée. Une cantine a été installée dans la salle des Fêtes, actuellement la salle de cinéma ; quelque linge, vaisselle, de quoi se chauffer leur est distribué grâce à la bonne volonté des Saint-Aulayais. De l’Etat, ils reçoivent une petite indemnité, mais la Commune doit allouer une aide aux plus démunis.
Ce ne fut facile pour personne. Pensez ! Les Strasbourgeois qui arrivent à Saint-Aulaye sont épuisés par le voyage, le chagrin et l’inquiétude, certains qui sont nés dans l’Alsace allemande, d’avant 1918, ne parlent pas français, tous parlent entre eux, alsacien, langue qui résonne comme germanique aux oreilles occitanes des gens d’ici. Ils sont le plus souvent protestants. Ils viennent d’une grande ville, où même s’ils ne sont pas riches ils sont habitués à un certain confort, or, à Saint-Aulaye en 1939, les WC sont dans le jardin, peu de maisons ont l’eau courante et encore moins une salle de bains. On se chauffe la plupart du temps avec un poêle, une cuisinière à bois ou une cheminée, l’hôtel du Petit Paris étant à l’avant garde avec le chauffage central. On va laver le linge à la rivière l’été et au lavoir l’hiver.
La première impression n’est pas très bonne, certaines Alsaciennes dans leur nouveau logement commencent par tout frotter à l’eau de javel !
Les gens d’ici se serrent, libèrent ce qu’ils peuvent -c’est parfois une grange avec des bottes de foin- donnent un lit, un fourneau, dans l’urgence.
Imaginez, si on nous annonçait: nous recevons 550 migrants, nous devons les loger et les nourrir.
Mais la vie s’organise très vite, des liens se créent. Les logements s’améliorent. Plusieurs, hommes travaillent à l’Usine, un autre chez Jean Chantre le garagiste, Traupmann à la mairie, deux autres, Wilheim et Stoll , Schwarz jouent dans l’équipe de foot-ball.
« Quelques uns étaient à l’école avec nous, se souvient Michel Berry, comme Haller qui logeait chez Bardot, Leytz, Hermann dont le père servira d’interprète à l’arrivée des Allemands en mai 40 ». J’ai aussi retrouvé sur le registre de l’école, Lucien Shumann, Henri Summer.
Les modes de vie se comparent, s’apprivoisent, ceux qui sont dans les fermes participent aux vendanges, aux travaux des champs. Les femmes échangent des recettes de cuisine, de pâtisserie, des points de tricot. Chez mes beaux-parents, à l’actuel café Avallon, il y avait 4 personnes : les Martin et les Wallior, l’un menuisier a fabriqué des petits bateaux en bois pour les deux garçons Faure, une des dames a cousu une poupée alsacienne pour leur sœur une autre à l’hôtel voisin, des poupons pour Lucette Lacroix.
D’après le seul document officiel que j’ai pu trouver à Périgueux et qui mentionne quelques uns des chiffres que j’ai cités, une soixantaine d’enfants réfugiés vont en classe avec leur maître qui s’appelait Fisher, dans la maison du Dr Triaud (2 rue du Gl de Gaulle ). « A la sortie de l’école nous jouions au foot sur la place des Coudercs aux Henris, sans problèmes de langages », précise Michel Berry. Anecdotes précieuses car ceux qui ont vécu cette époque sont de plus en plus rares et étaient très jeunes.
Aussi, j’invite tous ceux qui pourraient avoir recueilli des souvenirs ou des photos à me contacter.
Pour Noël, Monsieur Bertand, et Melle Joubert alors directeur et directrice des écoles organisent une fête pour tous les enfants se souvient Jeannine Cabrié.
En partant du Bulletin Municipal de l’époque et du fait que des femmes en couches étaient signalées comme nécessitant une aide, le registre des Naissances m’a permis d’établir une liste de 27 enfants alsaciens nés à Saint-Aulaye entre le 27 septembre 1939 et le 26 septembre 1940. Au début les femmes ont accouché à l’hôpital Chenard dirigé alors par le Dr Rousseau. Les enfants sont déclarés par la sœur supérieure Anne Sanfourche, mais d’après les récits de certains d’entre eux, il y a eu des problèmes. A partir de la mi-novembre 39, les naissances sont toutes déclarées par Melle Yvonne Lalet, future Mme Décout qui accouchait alors à domicile et qui a mis au monde des centaines de bébés de la commune et des environs et donc, une bonne douzaine de petits alsaciens.
J’ai pu retrouver la trace de quelques uns d’entre eux avec lesquels je suis entrée en communication et que je salue aujourd’hui.
Dans le registre des décès j’ai relevé 11 morts dont deux enfants, l’un de 9ans, l’autre de 9 jours; deux autres étaient réfugiés à La Roche-Chalais, un autre à Cumond. Trois couples se sont mariés ici début 40.
Des familles entières sont arrivées, grands-parents, parents, enfants. Le père trop âgé pour être mobilisé était, maçon, peintre, ouvrier ; la femme était sténodactylo, couturière, vendeuse. Certaines jeunes femmes étaient enceintes sans avoir eu le temps d’épouser leur fiancé mobilisé, leur enfant né à Saint-Aulaye a été reconnu par le père en 1947.
En juin1940 les Allemands vainqueurs, ont « déboulé » à Saint-Aulaye sur leurs motos et se sont installés avec leurs troupes, leurs chars, leurs chevaux et leurs injonctions. Saint-Aulaye était en zone occupée et rattachée à Angoulême.
Nos Alsaciens étaient rattrapés par la guerre et ici la population allait apprendre comme eux entre 1870 et 1918, à vivre sous la botte nazzie.
Je ne sais pas comment tout ce monde : 1200 Saint-Aulayais*, 550 Alsaciens et 600 soldats allemands ont pu vivre pendant cet été 40, sans compter tous les réfugiés du nord et de Paris qui étaient eux aussi arrivés au cours de l’exode de mai-juin 1940 qui a mis quelques 10 millions de personnes sur les routes fuyant devant l’invasion allemande.
Le 1er août 1940 une circulaire préfectorale envoyée aux Maires informe les 80 000 Alsaciens réfugiés en Dordogne que « en accord avec les autorités d’occupation, le rapatriement des évacués du Bas-Rhin allait commencer. Chacun était libre de partir ou de rester ».
Nos Alsaciens sont repartis en septembre 1940, la plupart ont préféré rentrer chez eux. Je pense qu’étant originaires de Strasbourg qui n’avait pas encore été bombardée, ils ont retrouvé leurs logements en état, mais des hommes ont été enrôlés de force dans l’armée allemande et devinrent des « Malgré-nous » et des femmes des « Malgré-elles ».
Deux familles ont choisi de rester et sont encore là.
* Je n’ai pas écrit Eulaliens, mais Saint-Aulayais
car c’est ainsi que l’on disait à l’époque
Texte de : Janine Faure (à retrouver dans le bulletin numéro 28 de décembre 2019)